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Une amoureuse en ce jardin

L’amour est une valeur trop importante pour être abandonné aux humains. C’est pourquoi Hathor, la souveraine de toutes les formes de joie, depuis celle des étoiles jusqu’au plaisir physique, veille sur cette attirance mystérieuse qui réunit deux amants. La déesse du ciel, qui répand sur terre la puissance irrésistible de l’amour, emplit brusquement le cœur. Hathor, à la fois mère et fille du soleil, jour et nuit, clarté et obscurité, feu ardent et douceur paisible, possède tous les visages de la femme amoureuse[85].

L’amoureux se compare à une oie sauvage ; il souhaite être pris dans le piège de sa bien-aimée dont la bouche est un bouton de fleur, dont les seins sont des pommes d’amour. Elle connaît à la perfection l’art de lancer le lasso ; de ses cheveux, elle fait des rets avec lesquels elle l’emprisonne. De sa bague, elle le marque comme d’un sceau.

La belle impose à son amant des épreuves pour savoir s’il l’aime vraiment. Elle lui ferme sa porte ; au point du jour, il doit lui adresser des prières et lui faire des offrandes pour qu’elle consente à lui ouvrir. Arriver là n’a pas été si facile, car la bien-aimée habite sur l’autre rive ; l’amoureux a dû traverser le Nil à la nage, alors qu’un crocodile, couché sur un banc de sable, le guettait. N’écoutant que sa passion, il a plongé et échappé au monstre. Son cœur rempli de courage, il a même eu le sentiment de marcher sur les eaux. Son désir ne le rend-il pas invulnérable ? Au fond de lui, il est certain que la bien-aimée a prononcé les formules magiques, « les charmes d’eau », qui suppriment tout danger.

Une fois parvenu près de la demeure de la belle, il faut encore échapper à la surveillance de la mère et utiliser un messager qui transmettra une lettre à la jeune femme. L’amoureux y exprime ses rêves : devenir le portier de celle qu’il aime, son blanchisseur qui lavera ses vêtements, et même sa servante nubienne qui la coiffera ! Il souhaite aussi se transformer en l’anneau qu’elle porte au doigt, afin d’être en contact avec sa peau. Si l’on empêchait les amants de se voir, ils prendraient la forme de chevaux ou de gazelles, capables de franchir n’importe quel obstacle.

Le désir provoque l’éveil des sens. La femme amoureuse a le génie du maquillage, sait choisir onguents et parfums. Elle s’est longuement préparée à sa première rencontre ; elle vient vers son amant, les cheveux odorants et les bras remplis de branches de perséa, ressemblant ainsi à Hathor, à la merveilleuse déesse qui emplit les Deux Terres des senteurs les plus suaves. L’amoureux souhaite capturer le parfum de sa bien-aimée, cette émanation subtile d’elle-même qui ravit l’âme.

Si ce dernier est effarouché, la belle sait comment le retenir : Vas-tu partir, s’inquiète-t-elle, parce que tu veux manger ? N’écoutes-tu donc que l’appel de ton ventre ? Vas-tu partir, parce que tu souhaites te couvrir ? J’ai ce qu’il faut pour toi : des draps sur mon lit… Vas-tu partir, parce que tu as soif ? Prends donc mon sein, ce qu’il contient déborde pour toi, l’amour que j’éprouve pénètre mon corps comme le vin se mélange à l’eau.

Quand mon cœur est en harmonie avec ton cœur, ajoute la belle, nous ne sommes pas loin du bonheur.

La femme est, elle aussi, prisonnière du désir.

Aujourd’hui, dit-elle à son amant, je n’ai pas posé de piège. C’est ton amour qui me rend captive, je ne peux plus m’en délivrer. Son cœur bat plus vite, il tressaute, elle ne sait plus comment s’habiller, ne met plus de fard sur ses yeux, ne se parfume plus, perd tout bon sens. Bref, c’est la maladie d’amour. Le pire est de ne plus voir l’amant. Les membres s’appesantissent, les médecins ne connaissent aucun remède efficace. Mon salut, affirme l’amoureux, lui aussi atteint, c’est de la revoir ; qu’elle ouvre les yeux sur moi, et je suis guéri. Qu’elle parle, et je retrouve toute ma vigueur.

La jeune femme, vêtue d’une tunique de lin fin transparente, inondée d’huiles parfumées, laisse deviner la perfection de son corps. Elle entre doucement dans l’eau, puis se déshabille et nage, nue, s’amusant à attraper un poisson rouge qui lui glisse entre les doigts. « Viens, recommande-t-elle à son bien-aimé, et regarde-moi ! » Elle l’enlace avec des fleurs de lotus et de papyrus. Qu’il est doux, ensuite, de se promener en barque sur un étang, en maniant paresseusement l’aviron, en dérangeant quelques canards et en dégustant des fruits mûrs.

Après s’être confessé leur désir mutuel, les amoureux n’ont plus qu’une seule envie : être seuls, dans les marais où l’on chasse les oiseaux ou, mieux encore, dans un jardin désert. Ils se cachent dans les fourrés de papyrus ou sous les ombrages d’un sycomore que la jeune femme a planté, jadis, en l’honneur de la déesse Hathor, à laquelle elle avait demandé de lui faire connaître l’amour.

La femme aimée est gratifiée, par son amant, de mille et un petits noms : « gazelle », « petit chat », « hirondelle », « colombe », toujours en usage dans nos sociétés, alors que « mon hippopotame », « ma hyène », « ma guenon » ou « ma grenouille » sont plus rarement utilisés.

S'embrasser, c’est être ivre sans avoir bu. Est-il plus doux bonheur que l’amour partagé, en ce jardin où parlent le sycomore, le tamaris, le grenadier et le figuier ? Le cœur élargi, l’amoureux comblé peut murmurer le chant d’amour que les belles d’Égypte ont entendu avec ravissement : Tu es l’unique, la bien-aimée, la sans-pareille, la plus belle du monde, semblable à l’étoile brillante de l’an nouveau, au seuil d’une belle année, celle dont brille la grâce, dont la peau rayonne, au regard clair, aux lèvres douces, au long cou, à la chevelure de lapis-lazuli, aux doigts semblables aux calices de lotus, aux hanches minces, à la démarche noble.

 

Les égyptiennes
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